R.O.C. 06
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Un Traité pour couler l’Europe : Faire échec au Pacte budgétaire !

Par le Collectif pour un audit citoyen de la dette.

Le 1er mars 2012, 25 (sur 27) chefs d’État et de gouvernement ont signé un nouveau traité[1], Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire (TSCG) qui devrait entrer en vigueur au début de l’année 2013.

Ce traité, dénommé « Pacte budgétaire », symbolise la réponse à la crise que proposent la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) (la « Troïka »), et les gouvernements européens : l’austérité généralisée comme seul horizon.

Dommages sociaux, économiques, démocratiques… Le Pacte budgétaire dresse les contours d’une Europe technocratique qui écrase les peuples pour mieux rassurer les marchés. Ce nouveau traité comprend en effet plusieurs outils pour contraindre durablement (et sans débat démocratique) les budgets des Etats : Le «frein à la dette», ou « règle d’or », qui impose un quasi-équilibre budgétaire, ainsi qu’un arsenal punitif renforcé pour les pays « laxistes ». Nous vous proposons ici une petite visite guidée des dispositifs prévus par ce nouveau traité.

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1) Le principe du frein à l’endettement / règle d’or

Le « frein à l’endettement » répond à une logique simple. Le Traité de Maastricht interdit aux États en déficit d’emprunter à la Banque centrale européenne. Ils doivent donc chaque année emprunter sur les marchés. Interdire les déficits publics serait alors un moyen simple d’empêcher une spirale d’endettement et représenterait un « frein » à la dette. La nouvelle « règle d’équilibre budgétaire », ou « règle d’or », exige que les budgets soient en équilibre ou en excédent. Il s’agit plus précisément de réduire le « déficit structurel » des États, c’est-à-dire le déficit calculé en éliminant la partie « conjoncturelle », liée à une chute de recettes lors d’une récession ou à un surcroît de recettes lors d’une année de croissance exceptionnellement forte. Un déficit structurel trop élevé serait un signe de déséquilibre durable.

Selon la Commission, c’est ce type de déséquilibre qui serait à l’origine de la crise de la dette. Il faut donc effectuer des « ajustements structurels » (à la manière des « plans d’ajustement structurel » promus par le FMI dans les pays surendettés) en mettant en place des politiques de « rigueur ». Le Pacte budgétaire impose ainsi aux États signataires de réduire à moyen terme le déficit structurel sous la barre de 0,5 %. Avec, pour les États en dehors des clous, des amendes significatives.
Un indicateur biaisé : haro sur les dépenses

A priori, la réduction du déficit structurel n’est pas directement synonyme de coupes brutales dans les dépenses. Sur le moyen terme, d’autres alternatives consistent à significativement augmenter les recettes, par exemple en augmentant les impôts ou encore en stimulant l’activité économique.

Pourtant, les recommandations de la Commission sont claires : la « meilleure » manière de réduire les déficits, c’est de couper dans les dépenses sociales[2]. Ce n’est pas tout : les règles, procédures actuelles, les textes européens et le Pacte budgétaire lui-même mettent l’accent sur la réduction des dépenses. Cela a été confirmé avec l’adoption du Pacte pour l’euro en mars 2011, qui explique de manière claire que l’« équilibre des finances publiques » présuppose des coupes drastiques dans les retraites, les dépenses de santé et allocations sociales[3].La concurrence fiscale « libre et non faussée » qui règne entre les États européens, les pousse de toutes façons à réduire leurs impôts et cotisations pour attirer les capitaux, plutôt qu’à les augmenter.

Autre facteur qui risque de jouer en défaveur des dépenses sociales : la méthode de calcul. La notion de déficit structurel est une construction statistique et il n’y a pas de consensus au plan international, ni même à l’échelle européenne, sur les méthodes de calcul – souvent très compliquées. Le FMI, l’OCDE, la Banque centrale européenne et la Commission européenne utilisent leur propre approche pour arriver à des résultats différents.

La méthode utilisée jouera un rôle crucial. Le déficit « structurel » est calculé par référence à ce que serait le déficit dans une situation « normale » : ni récession ni croissance exceptionnelle. Mais il y a plusieurs techniques pour évaluer cette croissance « normale », que les technocrates appellent « croissance potentielle », et les résultats ne sont pas du tout les mêmes selon la technique utilisée. Pire encore on peut douter que l’idée même d’une « croissance normale » ait un sens dans une profonde crise structurelle comme celle que connaît le capitalisme depuis 2007-2008.

En outre le choix de ce qui entre ou non dans le déficit est résolument politique : les dépenses d’investissement – notamment en recherche et développement, ou bien pour financer des projets d’avenir comme la transition écologique doivent-ils être inclus dans le calcul du déficit – et donc réduits à tout prix ? Les dépenses de santé, d’éducation sont-elles des investissements dans l’avenir, ou de simples dépenses de fonctionnement à sabrer ? Un État peut se retrouver très loin d’un côté ou de l’autre de la barre des 0,5% selon les méthodes de calcul.

Mais c’est la Commission et elle seule qui décidera des principes communs de calculs des déficits structurels. Les États devront s’aligner sur ces « bonnes pratiques », sous le contrôle de la Cour de justice européenne.

Récemment, un différend a opposé la Commission européenne et le Danemark. Le calcul du gouvernement danois aboutissait à un déficit structurel de 1 % du PIB, mais les calculs de la Commission donnaient 3 %. La dose d’austérité nécessaire pour revenir à 0,5% est très différente dans un cas ou dans l’autre ! La Banque nationale danoise a alors publié un rapport montrant que les méthodes de calcul de la Commission stigmatisaient tout particulièrement les dépenses publiques de protection sociale[4].

En fait, le calcul du « déficit structurel » est si arbitraire qu’il ne peut en aucun cas être utilisé pour fonder une politique économique. Dans le cadre du Pacte budgétaire, sa fonction est en réalité de jeter l’opprobre sur les dépenses publiques et de pousser les États à toujours plus d’austérité.
L’austérité à perpétuité

Concrètement, combien va coûter la réduction des déficits ? Pour la France, le déficit réel était prévu à 5,7 % du PIB[5] en 2011, pour un déficit structurel calculé à 3,8 % du PIB. En application du Pacte budgétaire, il faudrait donc réduire le déficit de 3,3 points… Soit 66 milliards d’euros.

En comparaison, la réforme des retraites aurait permis de réduire les dépenses publiques à hauteur de 7 milliards en 2012 selon le projet de budget du gouvernement[6]. Il s’agit donc approximativement d’effectuer l’équivalent d’une dizaine de réformes des retraites[7].

Le temps dévolu aux gouvernements pour s’ajuster à l’objectif de 0,5 % n’est pas encore clairement défini dans les propositions de la Commission. Si l’on s’en tient aux mesures prévues dans le cadre du volet préventif de l’actuel Pacte de stabilité, les États membres sont tenus de réduire leur déficit au rythme de 0,5 point de PIB par an… Soit pour la France un rythme de 10 milliards d’euros par an.

Dans leurs efforts pour réduire les déficits, les signataires auront exceptionnellement la possibilité d’accepter un déficit supérieur à 0,5% , dans le cas où ils feraient face à une récession , à condition que cela ne mette pas en danger l’atteinte d’un « équilibre budgétaire à moyen terme ». La même exception figure lorsque l’objectif de 0,5 % est atteint. Cette exception reste néanmoins très floue, et pourrait ne jamais entrer en vigueur.

À noter qu’aucune limite temporelle n’est prévue à l’application du « frein à la dette ». C’est donc, ni plus ni moins que l’austérité à perpétuité qui est promise à l’Europe.

2) Un programme économique injuste et absurde

Ces mesures d’austérité sont à l’origine de dommages sociaux considérables. Il s’agit d’une radicalisation des mesures mises en œuvre dans le cadre des plans d’austérité appliqués depuis 2009 dans la quasi-totalité des pays européens, avec au programme :
Coupes dans les salaires et effectifs de la fonction publique (en France, non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux) ;
Coupes dans les allocations sociales, chômage, logement, famille (particulièrement en Espagne, Grèce, Irlande, Portugal) ;
Réduction des pensions de retraites ;
Coupes dans les financements des collectivités locales, et dans les services publics (en France, suppression de la taxe professionnelle, diminution des transferts aux collectivités).

Ces mesures sont fondamentalement injustes, car elles touchent en priorité les classes moyennes, les classes populaires et elles touchent aussi plus durement les femmes[8]. Elles sont aussi absurdes économiquement. En effet, elles créent un cercle destructeur : la baisse généralisée des salaires va contribuer à une baisse de la consommation, puis de l’activité, et provoquer une récession qui va davantage peser sur les comptes publics – les recettes fiscales diminuant, avec pour conséquence une augmentation du déficit public que ces mesures étaient censées résoudre.

À titre d’exemple, l’économie grecque est littéralement laminée par les politiques d’austérité. Le nouveau plan de février dernier est une étape supplémentaire : baisse de 22 % du salaire minimum, ramené à 586 euros bruts sur 14 mois, suppression dans l’année de 15 000 emplois publics, nouvelles coupes dans les pensions de retraite. Loin de jeter les bases d’une sortie de crise, les prétendues « cures » imposées par la Troïka entretiennent un cercle vicieux de récession et de chômage.
L’impossible relance publique

Le carcan d’austérité du « frein à la dette » ne va pas seulement obliger les gouvernements à mettre en œuvre des coupes sévères dans les dépenses sociales : il va par ailleurs sérieusement réduire les options disponibles pour les gouvernements, en situation de crise. Il sera désormais impossible de mettre en place des politiques budgétaires ambitieuses et des investissements publics pour initier la transition écologique et relancer l’emploi .

C’est en effet la Commission qui sera en charge des principes communs de calculs des déficits structurels. Il y a fort à parier qu’elle propose les mêmes méthodes qu’elle utilise actuellement, or les dépenses publiques qui y font l’objet d’exemption tiennent sur une liste très réduite :
les dépenses associées à des catastrophes majeures ou des actions militaires,
les dépenses liées à des décisions de la Commission ou de la Cour européenne de justice (comme par exemple des amendes infligées aux États membres)[9].

Après la crise de 1929, Roosevelt a proposé un « New Deal » avec des investissements publics importants pour relancer l’économie. Dans l’Union européenne du Pacte budgétaire, ce programme aurait été l’objet de sanctions très lourdes qui l’auraient rendu impossible. S’imposer un quasi-équilibre budgétaire, cela signifie que les investissements de long terme seront financés par les recettes courantes. Or ces investissements seront utilisés des décennies durant par plusieurs générations, il est donc totalement absurde qu’elles soient financées par les recettes du moment. Si cette règle devait être respectée, elle entraînerait l’impossibilité, de fait, d’investir pour l’avenir, alors même que la nécessité de satisfaire les urgences sociales et écologiques va demander des investissements massifs.
L’impossible relance privée

Avec le Pacte budgétaire, les institutions et les gouvernements européens tournent le dos de manière décisive à la possibilité d’une relance par les investissements publics. Ils disent vouloir favoriser les conditions d’une relance par l’investissement privé. En fait il s’agit d’un nouvel approfondissement de l’agenda néolibéral :
Privatisation des services publics et des « bijoux de famille » ;
Réforme du marché du travail (licenciements facilités, négociation collective éliminée…) ;
Fiscalité favorable aux entreprises : hausse des taxes à la consommation, TVA, essence, tabac… + cadeaux fiscaux pour les riches et les grandes entreprises.

La relance peut toujours attendre : à mesure que les gouvernements coupent dans les salaires, la consommation chute, et avec elle l’activité. Surtout lorsque de telles mesures sont appliquées à une échelle européenne, par des pays qui sont les meilleurs clients les uns des autres.
Une « compétitivité » qui plombe l’Allemagne elle-même…

Ce principe s’inspire de la « règle d’or » budgétaire adoptée par l’Allemagne pour contrôler le recours des administrations publiques à l’endettement. Le gouvernement d’Angela Merkel a récemment adopté une modification constitutionnelle qui s’apprête à forcer les gouvernements futurs à rester en dessous d’un déficit structurel de 0,35 %.

D’une manière plus générale, avec le Pacte budgétaire, c’est le modèle conservateur allemand dans son ensemble qui est imposé comme l’exemple à suivre. Pourtant celui-ci ne peut en rien servir de modèle pour l’Europe. Celui-ci repose sur une recherche de performance commerciale à tout prix (« compétitivité ») , à travers une baisse des salaires réels, des attaques sur les droits sociaux, des avantages fiscaux pour les grandes entreprises, des privatisations…

L’explosion des excédents commerciaux allemands provoque mécaniquement celle des déficits commerciaux des partenaires, qui n’ont d’autre choix que de s’endetter… ou d’imposer eux-mêmes une « dévaluation interne » par une baisse massive des salaires et des budgets sociaux. Mais cette politique pèse sur leur demande interne et donc sur les exportations allemandes. L’Allemagne risque fort elle-même d’entrer en récession en 2012 car, à une demande interne affaiblie depuis des années, vient maintenant se combiner un ralentissement de ses exportations en Europe dû aux conséquences des politiques d’austérité qu’elle a promues. Le modèle allemand n’est pas soutenable pour les autres pays européens ni pour l’Allemagne elle-même.

C’est pourtant cette spirale destructrice de dumping social et fiscal à l’échelle de l’Europe que le Pacte budgétaire institutionnalise.

3) Punitions contre démocratie

Au fond ce nouveau Traité semble jusqu’ici ne rien faire d’autre que de radicaliser les objectifs du Pacte de stabilité et de croissance du Traité d’Amsterdam, qui imposait aux États de ne pas dépasser un déficit de 3 %… avec les résultats qu’on sait.

Mais le Pacte budgétaire représente en fait une véritable révolution, non seulement parce qu’il impose aux États l’objectif de l’équilibre budgétaire, mais aussi dans les moyens nouveaux qui sont donnés aux institutions européennes pour faire respecter ses mesures. L’arsenal punitif est considérablement renforcé et des pouvoirs exorbitants sont confiés s à la Commission, mais aussi à la Cour de justice européenne.
Contrôles et amendes renforcés

Le Pacte budgétaire reprend en grande partie les mesures développées dans le cadre du paquet européen de gouvernance économique déjà adopté par l’UE en 2011 : contrôle a priori des budgets par la Commission, avec à la clé des sanctions possibles pour les gouvernements qui ne se soumettraient pas à l’impératif de réduire la dette.

Les amendes infligées aux pays surendettés ou en déficit seront décidées sur proposition de la Commission européenne au Conseil européen, selon un principe de majorité inversée. C’est-à-dire que pour bloquer une procédure, une majorité qualifiée des États membres sera désormais nécessaire… Les punitions pourront donc être infligées de manière quasi automatique sur proposition de la Commission européenne. Pire encore : le pays « accusé » n’aura pas le droit de participer au vote !

Par ailleurs, si un État membre considère qu’un autre État membre n’a pas adopté de législation suffisamment contraignante pour mettre en œuvre les règles du traité, il peut porter plainte auprès de la Cour de justice européenne. Celle-ci pourra à ce titre imposer des amendes à hauteur de 0,1 % du PIB (ce qui représente pour la France autour de 2 milliards d’euros). Ce traité encourage ainsi un bel état d’esprit de coopération et d’entraide entre pays européens !
Règle d’or : tout sauf le référendum !

En ce qui concerne le « frein à la dette », il est prévu que les gouvernements mettent eux-mêmes en œuvre des mécanismes de correction automatique d’un déficit « excessif » au sein même de leur législation nationale. .

L’inscription dans la Constitution n’est pas obligatoire. Le texte stipule en effet que les États membres doivent adopter des « dispositions à caractère contraignant, de préférence constitutionnelles, ou bien avec la garantie d’une application et d’une adhésion totale lors du processus d’adoption du budget national ».

Des dispositions doivent cependant être prises pour que le frein à la dette ne puisse pas être remis en cause. Comme l’indiquait la Chancelière Merkel : « Le frein à la dette va être contraignant et s’appliquer de manière permanente. Les règles ne doivent en aucun cas pouvoir être changées par une nouvelle majorité parlementaire.[10] »

Pour ce faire, des instances indépendantes pourraient être mises en place au niveau national, probablement composées d’experts et d’économistes, afin de veiller à l’application de la discipline budgétaire[11].

Pourquoi un montage institutionnel aussi complexe et pour l’instant imprécis ? En fait la réponse est évidente : dans certains pays, une modification de la constitution nécessite un référendum. Consulter le peuple? un scénario à éviter à tout prix pour les promoteurs du Pacte budgétaire. D’où ces palinodies à propos d’une « règle permanente, quasiconstitutionnelle, mais en dehors de la constitution ». Pour nos élites européennes, la démocratie, voilà l’ennemi.

4) MES, Pacte budgétaire : une fuite en avant européenne

Le « traité d’austérité » resserre d’un cran les vis d’un édifice institutionnel complexe, qui fait de l’austérité l’alpha et l’oméga des politiques économiques européennes. Il s’apprête à remettre en cause de manière généralisée les droits sociaux et la protection sociale en Europe.

Une remise en cause qui est déjà largement avancée dans les pays surendettés comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, qui ont fait l’objet d’interventions de la Troïka. Le Pacte budgétaire s’articule en fait avec le Mécanisme européen de stabilité (MES) pour permettre de garantir de telles interventions.
Un FMI européen

Le MES a pour vocation de généraliser les méthodes employées par la Troïka dans ces pays… avec les résultats que l’on a évoqués. Ce mécanisme prolonge en effet le Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui a permis de mettre en œuvre les différents « sauvetages » européens.

Ce fonds avait été mis en place en urgence : devant le risque d’un défaut de la Grèce, c’est-à-dire d’une cessation brutale du paiement des intérêts de la dette grecque aux banques, les membres de la zone euro s’étaient accordés pour violer le Traité de Maastricht (repris par les traités ultérieurs), qui interdisait toute « solidarité financière » entre États européens. Ils se sont mis d’accord pour emprunter les sommes nécessaires et les fournir à la Grèce plutôt que de confier à la Banque centrale européenne un rôle – lui aussi interdit par Maastricht – de prêteur en dernier ressort.

Il ne s’agissait pourtant pas d’une « solidarité » à l’égard du peuple grec : les « plans de sauvetage » successifs ont en effet permis de recapitaliser les banques nationales, et de racheter des volumes importants d’obligations aux créanciers des pays en difficulté, évitant ainsi de lourdes pertes aux banques européennes. Pour permettre ce sauvetage des banques, le peuple grec devait payer : des plans d’austérité drastiques ont ainsi été mis en œuvre.

Le MES est bâti comme un FMI européen. Non seulement il applique les mêmes préceptes, mais son fonctionnement est par ailleurs calqué sur celui du FMI. Il ne rend de comptes à aucun parlement, aucun tribunal, seulement à un Conseil de « gouverneurs » représentant ses « actionnaires » (c’est-à-dire les États membres, à hauteur de leur contribution).
Une socialisation des pertes à l’échelle européenne

Comme on l’a évoqué, les « plans de sauvetages » successifs permettent surtout de sauver le flux des intérêts qui saignent l’économie grecque et alimententses créanciers. Mais le peuple grec n’est pas le seul à faire les frais de la « solidarité européenne ».

Les membres du MES seront en effet amenés, pour financer les prochains « sauvetages », à emprunter des sommes considérables sur les marchés financiers. La France s’est ainsi engagée à fournir jusqu’à 142 milliards d’euros, pour assurer les plus-values des créanciers.

Cela ne fera qu’accroître la pression sur les gouvernements afin qu’ils ne donnent des « garanties » de rigueur budgétaire aux créanciers et aux agences de notation. Il y a fort à parier que les interventions futures du MES seront aussi conditionnées à la mise en place d’une austérité accrue… pour les « sauveteurs ». Une austérité « garantie » par l’adoption du Pacte budgétaire. Cependant que les peuples européens seront appelés à payer le coût des prétendus sauvetages de la Troïka, les emprunts du MES permettront aux banques de se rémunérer grassement. Elles pourront en effet emprunter à moindre frais à la Banque centrale européenne, et sans contreparties. C’est ainsi que fin 2011 et début 2012, la BCE a inondé les banques privées européennes avec des prêts se montant à 1000 milliards d’euros à trois ans, au taux amical de 1%, sommes dont une partie est en train d’être reprêtée aux États qui payent quant à eux des taux d’intérêt de 2 à 8 fois plus élevés…

Le MES met à la poubelle l’article du traité de Maastricht qui interdisait les aides entre États mais ne résout pas du tout le vice de fabrication de la zone euro : sa dépendance à l’égard des marchés financiers. Au contraire il l’accentue. C’est un véritable mécanisme d’instabilité permanent, qui s’apprête à plonger, par entraînement, l’Europe toute entière dans un cercle destructeur de politiques d’austérité généralisées et de récession sans fin.

5) Quelles alternatives ?

Le Pacte budgétaire et le MES sont à l’image de l’Europe voulue par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, foulant au pied la démocratie et les peuples. Ils mettent en place une mécanique technocratique, antidémocratique et antisociale pour mieux sauver les intérêts des plus riches et des banques. C’est ce « sauvetage » permanent qui entraîne les pays européens dans une surenchère de casse sociale et démocratique.

Pour la première fois de son existence, la Confédération européenne des syndicats a marqué sa désapprobation en s’opposant au nouveau traité européen.

« Ce Traité rassure peut-être les amis politiques de la Chancelière Merkel, mais sûrement pas les millions de chômeurs, de travailleurs pauvres et précaires en Europe, qui attendent en vain un véritable soutien de la part des institutions européennes. C’est pourquoi nous y sommes opposés » a expliqué Bernadette Ségol, secrétaire générale de la CES[12].Et Jürgen Habermas, le grand philosophe allemand qui avait soutenu le Traité Constitutionnel Européen, estime aujourd’hui que les réfprmes européennes ouvrent une période de « domination post-démocratique » (Le Monde, 27/10/2011).

La violence des politiques entreprises par la Troïka dans les pays surendettés, la radicalisation de l’agenda néolibéral et des reculs sociaux changent donc la donne. Un large front de forces sociales peut émerger pour imposer une rupture avec cette logique néolibérale radicalisée. Cette rupture doit reposer sur deux principes : une politique économique alternative, un rénovation complète de la démocratie en Europe.

Des politiques économiques alternatives doivent d’urgence être mises en œuvre à l’échelle européenne pour sortir l’Europe de la mainmise des marchés financiers
Une véritable solidarité européenne : avec une intervention directe de la BCE pour dissuader la spéculation et sortir les économies des pays surendettés de l’asphyxie par de massifs investissements publics. Dans le même temps, des audits de la dette doivent aboutir à des restructurations, avec participation du secteur privé.
Sortir le financement public des marchés financiers : les États doivent pouvoir emprunter directement à la Banque centrale européenne sans passer par les banques privées ; des mesures de relance publique et d’investissements massifs sont urgentes pour satisfaire les besoins sociaux, renforcer la convergence vers le haut des économies européennes et amorcer la transition écologique.
Mettre les banques au service de la société : séparation des banques d’investissement et des banques de détail, démantèlement des banques « trop grosses pour faire faillite », mise en place d’un pôle public et coopératif de financement, sous contrôle démocratique.
Désarmer les marchés financiers : Les mécanismes spéculatifs comme par exemple le trading à haute fréquence, la vente à nu, les marchés de gré à gré, les CDS, la spéculation sur les produits dérivés doivent être interdits, et une ambitieuse taxe sur les transactions financières doit voir le jour dans l’Union européenne ou au moins dans la zone euro.
Lancer une révolution fiscale à l’échelle européenne, il faut taxer les riches et les profits et mettre un terme à l’évasion fiscale et aux paradis fiscaux pour redonner des marges de manœuvre à l’action publique.

Une rénovation démocratique complète doit être entreprise.

Dans un premier temps, cela suppose de rejeter le Pacte budgétaire par des mobilisations européennes et dans les différents États. Avec les autres peuples européens nous voulons imposer dans tous les pays un véritable débat démocratique autour des enjeux de la dette publique, des alternatives à l’austérité et à ce nouveau Traité.

Dans un second temps, il faut engager un processus d’élaboration démocratique, avec tous les pays voulant s’engager dans cette voie, d’un nouveau traité européen, pour refonder l’Europe sur des bases de solidarité et de démocratie. Faute de quoi l’Union s’enfoncera dans la récession, le chômage, le racisme et la xénophobie, et son éclatement deviendra inéluctable.

[1] Pacte budgétaire, ou Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire » , http://www.european-council.europa….

[2] European Economy, Occasional Papers 65, 2010, http://ec.europa.eu/economy_finance…

[3] Pacte Europlus, page 19 des conclusions du Conseil, 24, 25 mars 2011, http://www.consilium.europa.eu/uedo…

[4] Une critique argumentée de la méthode de la Commission européenne a été élaborée par la Banque nationale danoise (département économie) : Ann-Louise Winther ; “Konjunkturudsving og offentlige finanser”, Kvartalsoversigt, 1. Kvartal 2011 del 1, Danmarks Nationalbank, 2011, pp. 71- 91. https://www.nationalbanken.dk/C1256…

[5] Programme de stabilité 2011-2014 : http//ec.europa.eu/europe2020/pdf/nrp/sp_france_fr.pdf

[6] http://www.toutsurlaretraite.com/reforme-des-retraites-5-milliards-d-euros-d-economies-en-2012.html

[7] http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/080311/pacte-de-competitivite-attention-danger

[8] voir http://www.audit-citoyen.org/?p=406

[9] European Commission, European Economy no 3, 2006, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/publication423_en.pdf

[10] The Guardian, 30 janvier 2012, http://www.guardian.co.uk/business/…

[11] « Cela fait longtemps que l’idée de telles instances indépendantes, disposant d’un rôle important est débattue au sein les institutions européennes, et de nouvelles propositions législatives dans ce sens devraient être faites bientôt » (Automatic Austerity, Corporate Europe Observatory : http://www.corporateeurope.org/publications/automatic-austerity

[12] Communiqué de presse de la CES, 31 janvier 2012, http://etuc.org/a/9605

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